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On a tendance à croire que l’industrie du divertissement est imperméable à son époque et que ses productions se déploient dans une réalité déconnectée des enjeux contemporains. Alors quelle surprise pour l’écrivaine Noëlle Revaz lorsqu’elle découvre que les scénaristes, producteurs et réalisateurs du film commercial hollywoodien qu’elle est allée voir font passer un message sur la politique américaine, voire mondiale ! Elle partage ici avec nous ses impressions et sa séance au cinéma.
Sur invitation de mon opérateur téléphonique, je me suis retrouvée samedi dernier dans une salle obscure en train de regarder le nouveau film de Marvel, Captain America, Brave new world. Vu que je n’ai jamais eu beaucoup d’enthousiasme pour les films d’action, je me doutais en m’installant que je n’allais pas prendre mon pied. L’expérience s’est avérée encore plus déconcertante que ce que je pensais. Propulsée dès les premières scènes dans des combats dont il m’était impossible de comprendre l’enjeu, j’ai tenté de me raccrocher aux personnages. Mais les pauvres, privés de relations et de dialogues dignes de ce nom, étaient chargés de m’expliquer l’action en même temps qu’ils la jouaient. Ni mon cerveau (intrigue squelettique) ni mon coeur (absence d’émotion par impossiblité d’identification) n’étaient sollicités et je commençais à m’ennuyer ferme.
A la pause, vidant leur Prosecco, mes compagnons de ciné m’ont expliqué que je n’y comprenais rien parce qu’il me manquait une grande partie des informations disponibles de manière horizontale sur Netflix, Internet, les réseaux etc… En bref j’aurais dû aller voir plus de Marvel les années passées, c’était ma faute, j’étais larguée et je ne savais pas comment regarder ce genre de film.
Soit. J’ai accepté. Ils avaient raison.
La séance a repris et j’en ai profité, le temps de quelques voltiges de Captain America contre des avions de chasse au-dessus de l’océan Indien, pour survoler de mon côté le plan de ma semaine et réfléchir à mes prochaines vacances. Puis tout à coup le miracle s’est produit. A ma grande surprise le film a attiré mon attention. Harrison Ford s’est métamorphosé. Oui Harrison Ford (charisme et force) est présent dans le film. Il joue le président des Etats-Unis. Vers la fin, pour une raison qui m’a échappé, il pique une crise de rage si violente qu’il devient tout rouge et que sa musculature se décuple, façon Hulk. Ça fait craquer ses vêtements. Le président des Etats-Unis se retrouve torse nu vêtu d’un petit pantalon déchiré, et cette quasi-nudité indique la bestialité et l’abandon de tout aspect civilisé. Son vrai visage de géant incontrôlable et sans cœur apparaît. L’angle de ses maxillaires se durcit, son front au contraire rétrécit (avec son intelligence), ses yeux (miroirs de l’âme) rapetissent et disparaissent dans un rictus de colère qui fait saillir son cou, sa mâchoire et ses dents. Un fou furieux, écarlate.
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Ainsi métamorphosé le président des Etats-Unis saccage le Bureau ovale, image saisissante de la Maison Blanche qui s’écroule derrière lui tandis qu’il s’élance dans les airs, poursuivi par Captain America. Il se heurte à l’Obélisque et l’endommage, mais il s’en fout, il casse tout sur son passage. Et moi, hilare dans mon fauteuil devant tant d’invraisemblance et d’exagération, j’étais pourtant saisie et scotchée : quelle audace de la part des auteurs du film ! Quel symbole limpide et quel message transparent ! Complètement inespéré et imprévisible dans une telle fiction !
Mais ce n’était pas tout : ensuite Captain America et le président des Etats-Unis qui n’est plus lui-même se défient et se battent au milieu d’une allée romantique de cerisiers en fleurs. A l’issue de ce combat la terre est profondément labourée et tous les troncs sont brisés. Mais : le président encore fou de rage recueille dans sa paume un pétale qui volète et se balance doucement dans les airs. Et il est touché, parce que ce pétale lui rappelle soudain sa fille, avec laquelle il aimait aller voir les cerisiers en fleurs (ça il vient de l’expliquer dans la scène précédente). Au contact de ce pétale, le monstre furieux redevient lui-même, son corps se réduit, sa peau blanchit et ses muscles se dégonflent. Le président des Etats-Unis sort de son délire et se rend compte de tous les dommages qu’il a créés et de la haine aveugle qui l’animait. Il se repent et s’en veut. Il demande pardon. On lui pardonne. Le film se termine, et voilà.
Moi je suis sortie de la salle songeuse, les poches bourrées de coques de téléphone neuves, la tête pleine de symboles et d’espoirs, et je suis rentrée chez moi avec un vœu. Puissent les pétales de cerisiers roses pleuvoir abondamment sur notre chère planète en ce printemps qui arrive, puisse leur douceur toucher et réveiller certains dirigeants afin qu’ils sortent de leur inconscience et reviennent à eux et se rendent compte de ce qu’ils font. Puisse la force rugissante écarlate s’apaiser, rire d’elle-même, se détendre. Juste ça. Ce serait déjà fabuleux.