Partager cet article
Un soleil blanc, dur et froid illumine en ce matin de janvier le ciel bleu clair qui découpe la colline du puy Pinçon. Elle reste le dernier décor du mythique stade Alexandre Cueille, depuis qu’on a, pour d’inévitables raisons de sécurité, principe de précaution oblige, coupé la haie grandiose de grands sapins qui avait inspiré le regretté Antoine Blondin.
Depuis dix-sept ans, lors du premier match à domicile de l’année, le légendaire SCTC, Sporting Club de Tulle Corrèze, alias « le Sporting », club pensionnaire – pour l’instant- de Fédérale 1 du championnat de France de rugby amateur, se réunissent les supporteurs, les dirigeants, les fans, les anciens et nouveaux joueurs, les édiles locaux et autres autorités : le préfet, les indispensables partenaires, leurs familles et leurs clients, pour un immense rassemblement. Le député de la Corrèze, un ex Président de la République, a été empêché par certaines circonstances nationales… Dommage ! Ce dimanche, le club fête ses cent vingt ans et ça n’est pas rien. Nous étions plus de six cent convives, quelques 5% de la population de la ville, des plus jeunes afficionados au plus ancien joueur, dernier témoin des heures glorieuses du Sporting, régulièrement chantées par Denis Tillinac : « Le Sporting du début des années soixante passait pour invincible sur ses terres, avec un pack en béton armé : Merckx, le capitaine sans peur et sans reproche, Astarie, dit « le Tac » au talonnage, le géant Orluc à la barbe et au verbe fleuris, … * «
A l’apéritif, sur la terrasse bien gelée et glissante de la salle de l’Auzelou, devant la bouillonnante Corrèze, la rivière, la bière, le muscat et la Salers réchauffent ceux qui ne rateraient pour rien au monde ce dimanche, emmitouflés dans d’épaisses doudounes siglées SCT. On se retrouve après les fêtes. Bonne année … et surtout la santé ! Jean-Pierre Fauvel, longtemps capitaine et ceux de la grande époque évoquent, amers mais fiers, le quart de finale perdu contre Brive en 1980. Un moment de gloire ancré dans les annales. On se rappelle avec Jérôme Bonvoisin, émigré de Brive, quelques mémorables troisièmes mi-temps. Le maire offre au club une réplique du premier maillot du club, celui de 1905, aux couleurs de la « Manu », la manufacture d’armes aujourd’hui disparue, amoureusement confectionnée par les dentelières plus habituées du fameux « poinct » de Tulle, mis à l’honneur par le musée de la ville. Le patron du Département offre une coupe géante pour marquer l’évènement, on liste les cadeaux de la traditionnelle « bourriche ».
Et l’on attaque les agapes. Pour ce repas liturgique, nous dégusterons les incontournables « farcidures », étranges spécialités de la gastronomie super-locale, à base de pommes de terre râpées agrémentées d’aromates et de farce.
Vous n’échapperez pas à la recette : « pour faire la farcidure, râpez très finement les pommes de terre et faites-les égoutter, plongez dans l’eau la « pâte » de pommes de terre. Formez alors des boules au milieu desquelles vous incorporez le lardon et la persillade Lâchez les dans le bouillon du salé. Attention : que les boules ne touchent pas le fond de la marmite, elles doivent toujours flotter. Les farcidures sont cuites lorsqu’elles remontent à la surface. » Servez avec le petit salé et l’andouille. Ma grand-mère y ajoutait avec un amour convaincu trois brins de persil du jardin, un peu de ciboulette et tentait de les aérer. On peut ainsi peut être en réchapper !
On connaît autant de recettes que de cuisinières. On ne confondra surtout pas la farcidure de Saint Clément avec celle de Favars ou de Sainte Fortunade, non plus qu’avec le milhassou ou quel qu’autre avatar de la râpure de pomme de terre, cette bienveillante tubercule nourricière de nos contrées. Ils étaient plus de 50 bénévoles fidèles à s’attaquer avec leurs économes avant tôt la veille à râper 900 kg de pommes de terre, préparer 140 kg de salé et 90 d’andouille ! Les grands Mamamouchis de la confrérie de la farcidure sont venus, revêtus de leurs pourpoints bleus aux parements mordorés et de leurs bérets armoriés, gouter les premières boules sorties avant qu’on ne puisse les servir et que le Grand Maître prononce le « dégustatur ». De longues files d’adeptes se pressent religieusement vers les étals. Nous pourrons alors ainsi sérieusement nous sustenter, communier et repus, affronter après un joyeux repas, les méchants courants d’air dans les tribunes du stade où ce jour nous recevions Sarlat, un quasi-voisin. Une banda corrézienne encourage nos vaillants combattants. Peu d’entre nous ne songe, au coup de sifflet de l’arbitre, à la première touche et la première mêlée, au discours de politique générale du nouveau Premier Ministre, à la menace d’une nouvelle motion de censure, à la prochaine investiture de Donald J Trump, au Mercosur et à l’Ukraine, aux élections des chambres d’agriculture, à la réforme des retraites, au prix du gaz et de l’électricité, aux dérives sécuritaires et au cours du CAC 40.
Nous perdrons le match. Brive a perdu le sien vendredi soir, et pourtant la foire grasse des rois a connu chez eux, à une encablure, un parfait succès : cinq cent kg de foies gras ont été mis en boites… Bon, nous ne sommes pas seuls.
Ainsi les institutions perdurent, quelques rendez-vous restent indestructibles. Une ville se retrouve autour de son club, la cohésion s’impose, le plaisir d’être ensemble, les valeurs d’une forme de fraternité et de solidarité. L’esprit de famille n’est pas près de s’éteindre.
Ainsi en est-il dans de très nombreuses petites villes de la province française, de Rodez à Noyon, de Troyes à Libourne. Ainsi leurs habitants et certains des alentours trouvent les raisons de trouver la vie pas si moche que ça !