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A plus de 300 Mds$, la valeur du groupe Netflix est aujourd’hui plus d’une fois et demie supérieure à celle de Disney, Paramount, Spotify et Warner Bros. Discovery réunis.
La période estivale n’a pas donné à l’information le retentissement qu’elle aurait eu à un autre moment. Le 20 août, l’action Netflix a clôturé sur un plus haut historique, à 698,54 $, effaçant le précédent record qui datait du 17 novembre 2021 (691,69 $) et concluant surtout un spectaculaire rebond par rapport à son plus bas historique du 9 octobre 2022, soit 174,87 $. A plus de 300 Mds$, la valeur du groupe est aujourd’hui plus d’une fois et demie supérieure à celle de Disney, Paramount, Spotify et Warner Bros. Discovery réunis.
Trouver dans ce chiffre une illustration du basculement de l’audiovisuel vers le streaming représente la conclusion la plus immédiate. La généralisation de la connectivité haut puis très haut débit, sur le fixe comme en mobile, s’est accompagnée de la montée des équipements connectés. D’après le Baromètre des Usages Audiovisuels NPA Conseil / Harris Interactive, plus de 87% des Français possédaient à fin juin un smartphone, plus de 88% un ordinateur, plus d’un sur deux une tablette et près de trois sur cinq une smart TV. L’ensemble a permis aux Français d’adopter de nouveaux chemins que la Box pour accéder aux programmes. Ils ne sont plus qu’un gros tiers (37%), et moins d’un quart chez les moins de 35 ans (23%), pour indiquer que le décodeur fourni par leur opérateur en représente le moyen privilégié.
Le passage par les sites et applications est devenu la règle majoritaire, et les usages se sont déformés avec elle, de quelques dizaines de chaînes regardées en direct vers les milliers de programmes disponibles en OTT (Over-the-top).
Visionnaire avant tout
Le mérite fondateur de Netflix est d’avoir perçu dès 2007 le potentiel du streaming dans le domaine des offres payantes (Youtube avait été créé en 2005 et se limitait encore aux vidéos amateurs dites UGC), et d’avoir alors assumé de concurrencer son métier historique – la location de DVD par voie postale – en lançant sa plateforme. Ce faisant, Netflix a inventé la SVoD (Subscription Video On Demand), dont ses près de 280 millions d’abonnés dans le monde font aujourd’hui le leader incontesté.
Cette intuition a facilité sa montée en puissance : ne pressentant pas la menace dont la SVoD était porteuse, les studios (et particulièrement Disney, avec l’accord de « premières fenêtres » signé en 2012) ont alimenté le catalogue de Netflix, et lui ont laissé le temps d’organiser l’arrivée de ses premiers Originals (Orange is the new black, House of Cards…). Il faudra attendre la fin des années 2010 pour que Disney avec Disney+, Warner Bros Discovery avec HBO Max ou encore Paramount avec Paramount+ se lancent à la poursuite de Netflix, et d’Amazon qui lui avait emboité le pas.
Le passage à vide
Face aux dizaines de milliards de dollars investis par ses concurrents, Netflix a tremblé début 2022 avec l’annonce pour la première fois d’une baisse de son nombre d’abonnés, et les marchés financiers ont été proches pendant six mois de bruler celui qu’ils avaient fait monter au plus haut.
Le sang froid et la continuité dans la mise en œuvre de sa stratégie a été le second mérite du groupe, sans exclure d’opportunistes ajustements de cap. Après avoir laissé ses abonnés partager leurs codes d’accès avec leurs proches, et les avoir même encouragés à le faire lorsque la priorité était de s’imposer dans les usages, il a mis fin à cette tolérance au printemps 2023. S’ouvrant par la même une nouvelle poche de monétisation (création d’une option de partage payant et/ou conversion de free riders à l’abonnement).
Un nouveau flux de revenus
L’ autre inflexion majeure concerne la publicité, dont l’absence avait été longtemps un levier de communication majeure de Netflix.
En ouvrant ses tarifs vers le bas de marché, les forfaits avec publicité évitent le risque de saturation de la demande solvable en même temps qu’ils ouvrent le business modèle à un nouveau flux de revenus.
Sur ce terrain, également, le groupe aura été le précurseur en novembre 2022… quitte à pécher par un peu trop de précipitation. Initialement confiée à Xandr (Microsoft), faute de savoir-faire interne, l’exécution – commercialisation et placement des spots – a été accueillie fraichement, le positionnement tarifaire a été jugé trop ambitieux, et le niveau de couverture garanti aux marques (le nombre de spectateurs abonnés aux forfaits avec publicité et susceptibles d’être touchés) reste un point de débat avec les annonceurs.
En se positionnant depuis quelques mois sur le marché des droits sportifs (WWE « World Wrestling Entertainment » et surtout NFL « National Football League », aux Etats-Unis), Netflix se positionne le terrain des diffuseurs historiques ; la capacité à rassembler de larges audiences instantanées grâce à des programmes à forte dimension événementielle. En même temps qu’il confirme sa détermination à se développer sur le terrain de la publicité, le groupe dessine son prochain enjeu : celui du volume d’écoute et plus seulement du nombre d’abonnés.
Cela ne devrait pas être sans conséquence sur le choix des programmes qu’il propose, en le poussant à aller vers des films ou des séries plus fédérateurs. Cela dessine aussi un champ de bataille sur lequel il trouvera de nouveaux adversaires : les TF1, M6 et France Télévisions de tous les pays… mais aussi les TF1+, M6+ et france.tv respectifs, qui témoignent qu’eux aussi ont maintenant pris le virage du streaming. La compétition ne se terminera pas de sitôt…