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Le 15 février 2017, en pleine campagne électorale, le jeune candidat Emmanuel Macron déclare à la surprise générale – à Alger de surcroit ! – que « la colonisation a été un crime contre l’humanité ». Ce qui aurait pu être un simple propos de campagne a en fait été le préambule de toute une série de maladresses qui ont abouti à un affaiblissement durable de la France en Afrique. François Jay, notre expert du continent africain exerce pour les lecteurs de Sans Doute le devoir d’inventaire de l’action du Président de la République 8 ans jour pour jour après ses propos malheureux.
Personne n’en était là, ni de ce côté de la Méditerranée, ni de l’autre ; la stupéfaction des Français qui l’entendent est totale, comme la surprise des Algériens, et des peuples anciennement colonisés, qu’ils soient en Afrique ou désormais en France. Mais son auteur n’est qu’un candidat en campagne ; il flattera d’ailleurs de nouveau l’électorat binational dans un meeting enflammé à Marseille quelques semaines plus tard.
Ce propos de campagne change de nature avec la victoire de son auteur, qui, Président, ne l’amendera jamais, au contraire ; se glorifiant d’être le premier président à ne pas avoir connu la colonisation, il s’attend sans doute à une forme de reconnaissance pour cet « aveu ». Au contraire, l’ouverture de cette boite de Pandore suscitera revendications et demandes de repentance, de réparations, de réouverture de l’Histoire, en Algérie évidemment, mais aussi dans toutes les anciennes colonies. Elle accélèrera l’émergence d’un climat de rancœur, en Afrique comme en France, dont se nourriront de nombreux politiques africains, ravis de pouvoir s’appuyer sur ce propos considéré comme une confession.
Sur ce point comme sur d’autres, Emmanuel Macron est allé plus loin que les attentes de ses interlocuteurs ; ceux-ci y ont surtout vu un signe de sa faiblesse.
Cette démarche obsessionnelle sur la mémoire est sans doute le reflet de sa volonté de dominer, en la réécrivant, une histoire dont il s’enorgueillit de ne pas l’avoir connue. Mais, là aussi, de nombreux Africains, notamment chefs d’État, ont du mal à comprendre la trahison de ses prédécesseurs et, d’une certaine façon, de son pays.
Cette obsession mémorielle sera associée à une relation souvent exclusive avec les « diasporas », comme si la couleur de sa peau donnait une légitimité à représenter son pays d’origine, parfois devenu très lointain. Ces deux marqueurs de la relation du président de la République avec l’Afrique conduiront très vite à une accumulation de maladresses, dans le ton comme dans le fond, témoin d’un regard très particulier sur les hommes et le monde noirs, et sur un Maghreb qu’il semble ne jamais avoir compris. A cet égard, le dernier discours aux ambassadeurs, qui passe souvent inaperçu, est emblématique. Ce 6 janvier, le président y a inclus deux aveux d’échec de sa diplomatie en Afrique, propos à la fois maladroits, méprisants et mensongers.
S’agit-il de l’aboutissement d’une succession d’échecs de sa relation avec l’Afrique, lui qui avait annoncé qu’« il n’y (a) plus de politique africaine de la France » ? Surtout, si le divorce entre lui et les Africains semble définitivement acté, celui-ci emporte-t-il un éloignement durable, au-delà de sa personne, entre la France et l’Afrique, en particulier francophone ?
Dans ce discours, le Président s’est attristé de l’ingratitude de (« tous les ») dirigeants sahéliens, qui devraient tous à la France leur place dans des pays souverains, et qui ne lui ont « même pas dit merci ». Dans la foulée, il a affirmé que le départ des troupes françaises du Sénégal et du Tchad avait été discuté et décidé d’un commun accord, proposé par la France, et annoncé par les chefs d’État concernés eux-mêmes, « car nous sommes polis » ! L’attitude condescendante du premier propos a évidemment choqué, en Afrique comme ailleurs, malgré quelques réactions d’approbation en France sur le fond : « c’est vrai qu’ils ont été durs avec nous et qu’ils ont la mémoire courte… ».
Les conséquences sont douloureuses
Au-delà du ton, il y a surtout un paradoxe dans le propos présidentiel. Si l’intervention de la France fin 2012 a sans doute été déterminante ponctuellement au Mali, après un long et coûteux gel de toute décision depuis 2011, elle s’est vite enlisée, sans objectif lisible ; et, contrairement au propos du Président, elle n’a pas empêché les chutes successives des Présidents en place, tous présentés comme des « amis de la France », ou du Président lui-même : en août 2020, Ibrahim Keita au Mali, en janvier 2022, Roch Kabore au Burkina, et enfin en juillet 2023, Mohamed Bazoum au Niger…
Ces pays sont-ils vraiment davantage souverains grâce à l’intervention de l’armée française, comme l’affirme le Président ? L’incompréhensible obstination avec laquelle l’ambassadeur français a été maintenu de longues semaines à Niamey après le coup d’État, contre la demande de départ des autorités nigériennes, a bien montré le peu de cas que faisait le chef de l’État de la souveraineté de ce pays !
Ce propos du Président, au-delà du langage employé, qui a de nouveau choqué l’opinion africaine, semble donc infondé ; il donne l’impression d’avoir été plutôt destiné à un public français qu’aux Africains eux-mêmes. Cette instrumentalisation politique est décidément une constante de sa relation avec l’Afrique et les Africains. L’autre propos est une contre-vérité, sans doute destinée à occulter la double humiliation issue de l’expulsion unilatérale des troupes françaises du Sénégal et du Tchad, tombée un même 28 novembre, date décidément sombre pour l’histoire d’Emmanuel Macron avec l’Afrique, comme nous le verrons.
Le jeune Président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, élu en avril 2024, a un ton volontairement « moderne », plutôt anti-occidental ; son prédécesseur, qui était soutenu par son « ami » E. Macron, avait brutalement réprimé des manifestations de l’opposition, dans un pays peu habitué à ces violences, et avait embastillé le futur président pendant près d’un an, avec l’autre leader de l’opposition.
Dans une interview à France 2 (sic…) le 28 novembre, le Président Faye annonce sa décision de renvoyer toutes les troupes françaises du Sénégal, dont il juge la présence aussi incongrue que celle de troupes sénégalaises en France. Il la justifie par son regard sévère sur l’histoire de la présence française dans son pays (que la France a « esclavagisé et colonisé, avant d’y rester ») ; il prend en quelque sorte E. Macron à son propre piège, lui qui avait construit sa relation avec l’Afrique sur une relecture, voire une réécriture, de l’Histoire entre la France et ses anciennes colonies.
Quant au Tchad, c’est le pays dont le nouveau président, (Mahamat) Idriss Deby, avait bénéficié d’une quasi-onction officielle de la part d’Emmanuel Macron : en 2021, la présence en personne de celui-ci aux obsèques d’Idriss Deby père était censée ouvrir une nouvelle ère de coopération entre les deux pays, à la faveur de cette succession familiale portée par l’armée. Plus tard, une conférence de presse conjointe l’affichera encore, aussi récemment qu’en octobre 2024, évoquant l’« évident » maintien de la présence militaire française, même un peu réduite.
Patatras, une calamiteuse visite-éclair improvisée du Ministre des Affaires étrangères a lieu le jeudi1 28 novembre : elle débouche, après un entretien tendu avec le Président, sur une déclaration unilatérale des Tchadiens (que le Ministre Barrot apprendra dans l’avion !) qui met fin à toute coopération militaire entre les deux pays, dans un délai alors fixé à fin mai 20252…
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Un nouvel accroc dans sa vision africaine
Ce 28 novembre, sous deux formes différentes mais avec le même recours à la thématique de la souveraineté, deux jeunes chefs d’État ont annoncé seuls leur décision de divorcer d’avec la France ; 40 jours après, la déclaration mensongère d’E. Macron ne fera que remettre de l’huile sur le feu et conduira les deux pays à démentir formellement ses propos, comme une ultime humiliation et la démonstration de sa perte de crédibilité sur la scène (au moins) africaine.
Ce fameux discours aux ambassadeurs comporte aussi un propos qui atteint un sommet de prétérition : le Président admet d’abord que « (nous avons) un agenda qui doit sortir des obsessions du passé » ; mais il ajoute, dans une grande confusion, « j’ai fait le maximum des efforts, et je continuerai de le faire, pour regarder les questions historiques, culturelles et mémorielles »… Ce n’est donc pas fini !
Cette volonté affichée de rupture avec le passé, avec ses codes, avec ses propres diplomates et autres experts compétents, et, plus généralement, avec les anciens, semble une constante du Président : le tutoiement en public, notamment de ses homologues, en est une illustration, qui contribue très tôt à démonétiser un discours qui se voulait pourtant porteur d’un nouvel avenir.
À l’université Ki-Zerbo de Ouagadougou, le 28 novembre (déjà) 2017, il prononce un long discours, préparé depuis 6 mois par son improbable « Conseil présidentiel pour l’Afrique », et s’enflamme devant un parterre d’étudiants, en présence du chef de l’État. Alors que le Président Kabore s’absente temporairement, Emmanuel Macron l’interpelle – « Reste là » – devant les étudiants choqués ; avant de compléter d’un maladroit « il est parti réparer lui-même la climatisation »…
En un « bon mot », E. Macron vient de détruire toute sa tentative de moderniser la politique de la France et son discours en Afrique. Finalement, diront des dirigeants africains, rien ne change, et les plus jeunes sont pires que leurs prédécesseurs qui, au moins, nous respectaient en public.
Parmi d’autres maladresses, il « convoque » soudainement en décembre 2019 les chefs d’État sahéliens à un sommet improvisé à Pau, après la mort de 13 soldats français au Mali, en « exigeant » des réponses claires et des décisions ; une fois de plus, les réactions de ses alliés les plus proches seront brutales et amères, et ce sommet sera décalé, comme un signe de leur mauvaise humeur.
Des valses-hésitations dommageables
Paroxysme des ambigüités et de l’absence de ligne lisible, la tentative obsessionnelle de séduire l’Algérie (et les Franco-Algériens…) passera par une longue absence de soutien au Maroc dans sa politique de règlement du sujet du « Sahara occidental » ; longtemps après les États-Unis et l’Espagne, et après une tension historique avec le Royaume, E. Macron ira à Canossa en donnant enfin raison au Maroc, rétablira – non sans cicatrices – la relation et…se brouillera avec l’Algérie, qui relancera sa pression migratoire, son discours de demande de réparations (à celui même qui avait avoué chez elle un crime contre l’humanité) et ses divers chantages, comme à la liberté attendue de Boualem Sansal.
Enfin, il y a un domaine dans lequel E. Macron aura repris le flambeau de la pseudo-modernité de certains de ses prédécesseurs : la banalisation, voire l’abandon, de l’Afrique francophone.
Dans ce sens, le Rwanda a été un terrain formidable de déploiement de cette politique à la fois prétendument moderne et obsessionnellement « mémorielle ». Après une relecture des événements dramatiques de 1994 – dans laquelle les acteurs français de l’époque ont eu l’impression d’être quasiment dénoncés par le président de la République – la volonté de réhabilitation d’Emmanuel Macron l’amènera à un cadeau que le Président rwandais Kagame n’aurait jamais osé imaginer : le président français propose au Rwanda de porter la candidature d’une Rwandaise pour présider l’Organisation internationale de la Francophonie ! Ce pays avait effacé l’enseignement du français, avait rendu l’Anglais langue officielle et avait rejoint le Commonwealth, en portant un narratif caricatural et haineux sur la responsabilité de la France dans le génocide de 1994… Le jeune Président Macron s’est précipité pour adhérer à ce narratif, aboutissant de surcroît à une décision inacceptable pour les dirigeants et les opinions d’Afrique francophone. Comment reprocher à certains de ceux-ci de rejoindre le Commonwealth ?
Et des propos qui n’arrangent rien
Nombre de dirigeants, de diplomates et de hauts-fonctionnaires africains, sans parler des hommes d’affaires, sont consternés de la dégradation des relations entre l’Afrique et la France, en particulier avec l’Afrique francophone, avec qui, heureusement, tous les ponts ne sont pas rompus.
La plupart se résignent désormais à attendre 2027, pour le retour à une relation directe, délestée des improbables et illégitimes représentants des « diasporas », si chères à Emmanuel Macron, avec un ton respectueux, apaisé, professionnel, digne ; une relation qui reconnaisse aussi que l’Afrique et ses dirigeants ont changé. Pas seulement depuis les indépendances, mais aussi depuis 2002, quand le jeune Emmanuel Macron faisait un stage au Nigéria en croyant découvrir l’Afrique, toute l’Afrique…
C’est la bonne nouvelle : la France et les Français disposent toujours d’atouts pour reconstruire cette relation si précieuse avec l’Afrique, notamment francophone. Cette relation ne sera plus la même, il n’y aura plus de place à une exclusivité, ni même parfois à une préférence issue de l’histoire et de la langue partagées.
Mais les nouvelles générations de dirigeants (même si l’âge n’est manifestement pas toujours un gage de modernité…), la vitalité des coopérations d’entreprises, la volonté de certains membres des diasporas de former des ponts utiles, la modestie et la volonté de voir les intérêts partagés, les connections entre les hommes de part et d’autre, y compris grâce à la francophonie partagée, sont autant d’atouts qui permettront de (re)bâtir une relation modernisée, apaisée, réellement tournée vers un avenir commun.