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Cette prise de position de Frédéric Lemoine prend à rebrousse-poil la doxa politique qui ménage toujours l’électorat des plus âgés C’est une nécessité économique d’organiser la solidarité des plus anciens, et même un devoir moral. La génération des baby-boomers est responsable de la situation, elle ne peut juste profiter des systèmes collectifs et laisser les générations suivantes les financer.
Je vais avoir 60 ans dans quelques mois, rejoignant ainsi les 28% de Français qui sont déjà dans ce cas. De nombreux cadeaux m’attendent, des réductions dans les musées ou les cinémas aux pass municipaux pour les sports, les bus ou les formations à l’espéranto ou au macramé. Je vais aussi avoir droit à la carte Vermeil, devenue Carte avantage Senior SNCF. Vendue 49 euros (souvent soldée à 25), elle m’offrira 25% de réduction minimum, souvent 40% ou 50%, sur tous les trains nationaux et internationaux, première et deuxième classe, sans considération de mes ressources. Cela ne manque pas de sel, pour moi qui préfère payer le train de mes grands enfants quand ils me rejoignent en Bretagne tellement je sais qu’il est devenu lourd pour leurs budgets.
Démagogiquement épargnés de tout effort financier
En France c’est un classique. Dans la sphère privée, les grands-parents financent les enfants ou les petits-enfants, les invitent en vacances ou leur paient leur permis de conduire. Mais dans la sphère publique, on ponctionne les actifs pour offrir aux seniors de nombreux avantages dont… ils n’ont pas tous besoin. Certes, des conditions de ressources sont parfois imposées comme pour l’exonération de la taxe foncière ou, quand elle existait, de la taxe d’habitation. Mais celles-ci sont assez souples : pour renouveler le Pass Paris Senior, il faut par exemple acquitter un impôt sur le revenu inférieur à 2430 euros, ce qui touche beaucoup de gens puisque plus de la moitié des foyers fiscaux n’acquittent pas d’impôt sur le revenu.
Les gouvernements ne sont pas en reste. Entre 2017 et 2023, on a passé six ans à parler d’une réforme des retraites accouchée dans la douleur avec un seul invariant : ne pas toucher aux pensions de ceux qui avaient déjà eu la chance de prendre leur retraite après un temps de cotisation plus court que celui qui attend les plus jeunes ! Avec le prélèvement fiscal unique, on leur avait pourtant abaissé l’impôt sur leurs revenus financiers, l’essentiel de l’épargne de notre pays étant détenu par les plus de 60 ans, et offert une année fiscale blanche en 2018.
Le blocage est évidemment politique, voire électoraliste. Les responsables politiques se sentent incapables de faire payer les vieux alors même que beaucoup en ont les moyens, qu’ils ont moins de charges que de nombreux actifs (ils n’ont plus d’enfants à charge en particulier), qu’ils disposent de plus de temps et qu’ils coûtent souvent plus cher (en dépenses maladie par exemple). Mais les retraités à peu près à l’aise et prospères ont un taux de participation électorale record et ont constitué l’essentiel de l’électorat du bloc central ces dernières années. Avec ses airs de gendre modèle et ses nombreux gestes financiers, Emmanuel Macron les a séduits en 2017 comme en 2022. Lorsqu’en décembre 2021, Valérie Pécresse a atteint 20% d’intentions de vote dans les sondages, elle captait 29% des plus de 65 ans et en laissait 23% à Emmanuel Macron, soit 52% à eux deux. Les partis extrêmes courent aussi après cet électorat, allant fin octobre dernier jusqu’à voter au Parlement le rétablissement d’une demi-part fiscale pour les veuves (ou les veufs), un non-sens absolu à une époque où le travail est largement partagé et où le mariage s’est à la fois raréfié (essor de l’union libre) et diversifié (plusieurs fois au cours de la vie ou entre personnes du même sexe).
Une minorité fragile à protéger
Certes je m’empresse de le dire, des millions de personnes âgées vivent avec de petites retraites, souvent inférieures au SMIC et n’ont les moyens ni de voyager, ni d’être logé décemment, ni même dans certains cas de manger à leur faim. Le minimum vieillesse a été créé en 1956 et pourtant son successeur, l’Aspa (Allocation de solidarité aux personnes âgées), bénéficie encore à environ 600.000 personnes de plus de 65 ans qui touchent 1.012 euros par mois lorsqu’elles vivent seules et 1.571 euros pour un couple. Personne ne souhaite que sa mère ou sa grand-mère vive avec 30% de moins que le Smic et il me paraît prioritaire d’accroître ces montants et aussi de remonter à un niveau proche du SMIC le minimum contributif perçu par ceux ayant contribué à la retraite toute leur vie (le « MICO »).
Tout se passe en France comme si cette frange misérable et prioritaire de la population âgée projetait son image sur la vieillesse en général. Pourtant, s’agissant des revenus, on estime que « seulement » 9,9% des plus de 60 ans sont pauvres au sens statistique du terme (rapport 2022 de la DRESS du Ministère des finances) contre 16,3% des moins de 60 ans. Pour des raisons évidentes d’accumulation progressive, les personnes âgées disposent aussi d’un patrimoine plus élevé : en 2021, le patrimoine net médian des plus de 60 ans s’élevait à 212.000 euros contre 124.000 pour l’ensemble de la population et les 60-69 ans avaient un patrimoine médian 14 fois plus élevé que les moins de 30 ans. Leurs dettes sont généralement purgées. Et ce patrimoine, largement immobilier, est également constitué de liquidités et de placements financiers. Beaucoup de personnes retraitées peuvent « voir venir », ils partent en vacances quand leur santé le leur permet et sont ravis d’aider les membres de leurs familles moins bien lotis qu’eux, ce qu’ils pourraient faire davantage si on assouplissait les conditions de donation libre d’impôt (aujourd’hui tous les quinze ans seulement).
Désindexer les retraites et augmenter leur CSG
Le débat sur l’indexation automatique des retraites doit être replacée dans ce contexte, plutôt que de jouer à la surenchère. Laurent Wauquiez a ainsi cru bon de se vanter au 20 heures qu’il avait obtenu une augmentation des retraites dès le 1er janvier 2025. Et Xavier Bertrand de le rectifier car une augmentation plus forte au 1er juillet aurait été beaucoup plus favorable à 9 millions de retraités dans le moyen terme ! Assaut de démagogie bien myope. Des efforts sont indispensables dans la situation trouvée par le Gouvernement Barnier et il serait tout simplement juste que les retraités passent un peu plus à la caisse, tout en préservant les plus fragiles.
La désindexation des retraites au-delà d’un certain seuil (avec un biseau) s’impose de ce point de vue. Le niveau réel actuel des pensions n’est pas soutenable et la population a montré qu’elle n’était pas prête aux augmentations de durée de cotisation nécessaires pour le soutenir. Il serait également logique que les retraités, fort consommateur de soins, paient au moins autant pour leur santé que les actifs. Pendant longtemps leurs cotisations maladie étaient paradoxalement plus faibles que celle des salariés. Maintenant, c’est leur CSG qui l’est : avec 24.000 euros annuels de revenu fiscal de référence (2.000 euros par mois), la CSG est de 6,6% pour les retraités, et de 9,2% pour les salaires. Sans compter les 7% à 13% de cotisation maladie patronale inclus dans le coût du travail et qui limitent donc les salaires.
Une politique faisant contribuer davantage les retraités serait plus juste car les actifs vont devoir travailler plus longtemps et la quasi-totalité des retraités d’aujourd’hui a eu la chance de partir à la retraite à un âge qui ne le permettra plus à l’avenir. Elle serait plus efficace économiquement tant leur propension à consommer ou à investir est moindre que celle des plus jeunes. Elle serait plus efficace démographiquement car il faut préserver le pouvoir d’achat des plus jeunes et enrayer la baisse de la natalité dont une partie a des raisons économiques. Elle serait plus juste budgétairement car les régimes de retraite restent lourdement déficitaires, personne ne voulant regarder en face les 70 milliards annuels du budget de l’État mis en lumière par le rapport Beaufret qui contribuent chaque année aux régimes de retraites.
Un devoir moral des baby-boomers
Face aux graves difficultés économiques et budgétaires du pays, il est normal qu’un débat intergénérationnel s’engage. Les baby-boomers ont trusté les postes de responsabilité pendant des décennies comme l’a bien montré le livre de Laurent Guimier et Nicolas Charbonneau « Génération 69 ; les trentenaires ne vous disent pas merci ». Si on respecte individuellement chacun de ces anciens, c’est un fait qu’ils ont collectivement profité des trente glorieuses dans leur enfance et leur jeunesse et se sont épanouis dans un parc immobilier largement rénové, des universités bien financées, un welfare state bien doté et qu’ils profitent à plein d’un accroissement sans précédent de l’espérance de vie (et donc de la vie en retraite). Depuis la crise de 1974 et leur âge adulte, le budget de la France n’est plus équilibré : c’est sous leur responsabilité et au profit de leur existence que la dette publique s’est envolée. Et ils n’ont même pas réussi à construire les Ehpad et les unités de fin de vie nécessaires, ni à mieux anticiper la transition écologique !
On parle souvent de l’immoralité qu’il y a à transférer aux générations suivantes la dette financière, surtout quand elle a financé les dépenses courantes. Mais cela commence dès aujourd’hui et les générations à la retraite, nées grossièrement entre 1925 et 1962, doivent contribuer plus que toute autre au financement de nos déficits et à la réparation de leurs méfaits. Et ce n’est pas parce qu’elles votent davantage, et continuent du coup de défendre bec et ongles leurs avantages, que les politiques doivent se coucher devant elles. La vieillesse sait aussi reconnaître la sagesse.