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De fait, pas grand-chose n’a été fait, ni par les uns ni par les autres, pour tenir compte de la volonté populaire telle qu’elle s’est exprimée, avec force, dans les urnes, ou ce qu’en ont révélé par la suite les enquêtes d’opinion.
A l’issue de deux mois de tergiversations, Emmanuel Macron a proposé à l’Assemblée élue en juillet, ainsi qu’au pays, un nouveau Premier ministre. Les réactions de l’opinion à la nomination de Michel Barnier traduisent un mélange de soulagement (la fin d’une inquiétante incertitude), d’expectative (Michel Barnier est encore mal cerné par une partie des Français), de colère (les électeurs de gauche s’estiment floués), et d’enthousiasme de la part des sympathisants LR qui n’en espéraient pas tant. La conclusion des nombreux sondages parus après sa désignation, c’est qu’il doit encore faire ses preuves – et composer son gouvernement en sera une. Les réactions très positives ou très négatives sont à ce stade minoritaires.
Il y a sans doute de la surprise aussi devant cette issue pour le moins inattendue de la tragi-comédie politique de l’été. Mi-juillet, un sondage de Cluster 17 pour Le Point demandait aux Français de se prononcer sur les partis qu’ils jugeaient gagnants ou perdants de la séquence électorale. Dans l’ordre décroissant figuraient le Nouveau Front Populaire (32% les jugeaient gagnants), Le Rassemblement national (24%), Ensemble (5%) clairement classé dans le camp des perdants, de même que les Républicains (3%).
Une volonté populaire ignorée
La désignation de Michel Barnier obéit à cette hiérarchie dans l’ordre inverse. Un Premier ministre LR, nommés et soutenu par Ensemble, avec l’assentiment (provisoire) du RN, contre la prétention du NFP de voir nommer sa candidate à Matignon. Les Français, dont les trois quarts estiment qu’Emmanuel Macron n’a pas tenu compte du résultat des législatives en nommant Michel Barnier, semblent avoir relevé cette incongruité. De fait, pas grand-chose n’a été fait, ni par les uns ni par les autres, pour tenir compte de la volonté populaire telle qu’elle s’est exprimée, avec force, dans les urnes, ou ce qu’en ont révélé par la suite les enquêtes d’opinion.
Revenons au point de départ. Dans la foulée du 9 juillet, les Français se trouvent brutalement confrontés à la perspective, ardemment souhaitée ou redoutée, de voir Jordan Bardella à Matignon et une majorité RN à l’Assemblée. Ils se mobilisent comme on l’a constaté, et dans leur majorité, s’y opposent. Sur ce point, la volonté populaire exprimée par le vote a été respectée : Jordan Bardella n’est pas à Matignon. Et c’est à peu près tout. Le « Front Républicain », réactivé pour l’occasion avec une efficacité inattendue et sans trop d’états d’âme, est tombé aux oubliettes dès le lendemain du scrutin.
L’illusion perverse des chiffres
Dans leur revendication à un exercice exclusif du pouvoir, les dirigeants du NFP semblent n’avoir pas fait grand cas du fait qu’en dehors de leurs électeurs, (soit 28% des exprimés et 18% des inscrits), ce scénario ne rencontrait pas vraiment l’assentiment des Français. Auraient-ils cherché à s’ouvrir à d’autre forces, ils n’auraient guère rencontré de bonnes volontés. En excluant d’emblée toute alliance à laquelle LFI participerait, les centristes offraient à leur putatifs alliés de gauche de se séparer de ceux avec qui ils avaient fait campagne commune … pour n’occuper qu’un rôle d’appoint fort peu attractif.
Cette hypothèse ne montrait pas non plus un grand respect pour les électeurs de gauche, qui ont largement approuvé l’alliance. Alors qu’ils ne disposaient que d’un bulletin aux couleurs du NFP, comment imaginer qu’ils acceptent ensuite, qu’à peine élus, les députés NFP s’éparpillent dans des directions divergentes en fonction des stratégies de leur parti ? Face à la perspective du RN au pouvoir, les électeurs qui la redoutaient sont allés dans le sens de l’union, via l’alliance à gauche et/ou via le « front républicain ». Mais là où les Français, une fois leur devoir accompli, attendaient que les responsables politiques s’entendent sur des solutions et des compromis, ils ont surtout entendu prononcer des oukases et des exclusions, et vu tracer des lignes rouges.
La désignation de Michel Barnier entérine la compétition de deux blocs
le NFP d’un côté, et désormais l’alliance de fait entre Ensemble-Modem-Horizon et LR. Ces deux blocs se sont déjà affrontés lors de la désignation de la présidence de l’Assemblée nationale, chacun comptant ses troupes. Mais quel sens a cette arithmétique quand, par la logique des désistements croisés, ces blocs, et en particulier celui de la droite et du centre, doivent des dizaines de leurs sièges aux électeurs de l’autre ?
Les électeurs de gauche et du centre ont été invités à s’inscrire dans une logique du « tout sauf le RN » dont tout le monde s’est aussitôt affranchi et dont rien n’est sorti qui ressemble de près ou de loin au vœu pieux de « majorité stable et solide ». Il est difficile de ne pas voir dans cette séquence une aggravation du grand malentendu entre les citoyens et la sphère politique. Les Français se sont mobilisés les 30 juin et 7 juillet, parce qu’ils estimaient être face à un choix essentiel. Pour l’heure, rien de ce qui s’est passé depuis n’a permis de dire en quoi les acteurs politiques partagent une vision claire et intelligible de ce qui est essentiel et de ce qui est accessoire.