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La haine est un sentiment qui corrompt la démocratie. Régime improbable et fragile, elle repose sur la légitimité des élections libres et sur les débats et les compromis entre les uns et les autres
La haine à l’égard du président de la République illustre et entretient la crise de la démocratie. Les démocrates sont par définition critiques. Ils comparent la « poésie » des promesses électorales et la « prose » inévitablement décevante de la politique qui est ensuite appliquée par ceux qu’ils ont élus. Le tournant de la politique économique du gouvernement socialiste en 1983 est à cet égard illustratif, le retour à la réalité s’imposait au projet de « changer la vie » et de faire « succéder les lumières aux ténèbres » promis par le candidat Mitterrand en 1981.
Si les partis qui se réclament de la gauche font régulièrement plus de promesses qu’ils ne peuvent tenir, il est vrai que la résorption de la « fracture sociale » n’a pas non plus inspiré la politique menée par Jacques Chirac après son élection de 1995. L’écart entre la promesse et la gestion est naturel, il se traduit par « l’usure du pouvoir » et par le renouvellement rapide des gouvernants. Il y a longtemps qu’on a constaté le danger de l’électoralisme, même dans les démocraties les plus établies où la population en a une longue expérience.
Etant donné notre Constitution, l’inévitable déception se concentre sur le président de la République dont on pense qu’il dispose de tous les pouvoirs. Tous ont déçu leurs électeurs. Une déception qui, dans le cas du président actuel s’est mué en une détestation violente à la mesure du pouvoir qui lui est prêté. Je l’avais interprétée en son temps par ce qu’on pourrait appeler la haine démocratique, celle qui se nourrit du refus de toute supériorité qui heurte la passion des démocrates pour une égalité toujours susceptible de sombrer dans l’égalitarisme.
Le style d’Emmanuel Macron et certaines de ses affirmations, dont l’écho était orchestré par ses adversaires politiques, renforçaient le rejet, l’usure du pouvoir gonflait le nombre de ceux qui le haïssent. Les échecs étaient impardonnables et impardonnés, les succès ignorés. La passion de l’égalité risque toujours d’ouvrir la voie à l’envie et au ressentiment.
La démocratie corrompue par la haine
Or, la haine est un sentiment qui corrompt la démocratie. Régime improbable et fragile, elle repose sur la légitimité des élections libres et sur les débats et les compromis entre les uns et les autres, entre les électeurs et les élus, entre la majorité et les diverses minorités. Son principe est de remplacer la violence par le dialogue. Les adversaires politiques ne sont pas des ennemis qu’on voudrait abattre, ce sont des concurrents ou des rivaux avec lesquels il faut discuter pour gouverner ensemble.
La démocratie est un régime qui se définit par la constitution d’un espace public où l’on entend régler les affaires communes par le verbe, donc par le respect minimum qui permet de discuter. Il faut s’allier pour prendre des décisions et il faut accepter celles qui ont été prises par ceux qui ont été légitimement élus. Si l’on refuse ces fondements, le régime ne peut fonctionner. C’est le cas si les élus refusent de débattre entre eux et de s’allier avec les autres élus pour prendre les décisions nécessaires, s’ils refusent de reconnaître pleinement la dignité de leurs adversaires en tant qu’élus.
Les félicitations adressées aux vainqueurs des élections par les vaincus, la transmission courtoise des pouvoirs, la dignité des relations entre les députés de bord différent dont la dignité doit être reconnue en raison de leur élection, la conduite digne des élus dont la cravate des hommes est récemment devenue la marque, tous ces gestes publics symbolisent le style des relations qui doit présider au monde politique.
L’irrespect en toutes circonstances
C’est là que la haine passionnée à l’égard de celui qui dispose du pouvoir à la suite d’un vote légitime devient dysfonctionnelle. Ce n’est pas un problème moral. Il ne s’agit pas de juger une personne ni même une politique. On peut critiquer radicalement la politique suivie et détester à titre personnel celui qui détient le pouvoir, mais le respect de la fonction doit primer les émotions, il en va du fonctionnement démocratique.
Le refus de discuter avec le détenteur du pouvoir, les violences verbales et physiques à son égard donnent des modèles de comportement qui dévalorisent le monde politique et risquent de se diffuser à la société toute entière. Le non-respect des fonctions d’enseignant, de médecin, de policier ou de pompier auquel on assite dans certains quartiers s’inspire inconsciemment de cet exemple. Le monde politique devrait évacuer les comportements de haine – qui sont contraires à sa nature, donc un élément de « corruption » au sens de Montesquieu – et manifester aux yeux de leurs électeurs le respect de la dignité de tous ses membres. La corruption politique est aussi grave que la corruption financière.