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Le procès contre les assassins de Samuel Paty constitue indéniablement un moment crucial dans l’histoire de l’école. Dans un contexte national et international particulièrement instable et menaçant, avons-nous réellement accordé à ce procès toute l’importance qu’il mérite ? Alors que le parquet national antiterroriste a requis des peines jugées dérisoires par les enseignants durablement marqués par cet assassinat, il nous semble crucial de rappeler l’enjeu majeur de ce procès, tant pour l’avenir d’une profession que pour l’institution scolaire elle-même.
Du procès des accusés… au procès de l’école ?
Chaque jour, nous sommes des milliers à guetter les carnets d’Émilie Frèche sur le réseau social longtemps symbolisé par un oiseau bleu. Chargée de couvrir le procès pour Le Point, l’écrivaine rapporte minutieusement le contenu des audiences, tout en « croquant » les témoins appelés à la barre, les accusés et les avocats. Les fragments de l’enquête s’assemblent, dévoilant comment s’est enclenchée l’abjecte mécanique qui a conduit à l’assassinat de Samuel Paty ; la manière dont son nom a été livré en pâture sur les réseaux sociaux, l’agitation islamiste qui l’a désigné à la vindicte pour avoir montré des caricatures.
Mais le procès, au-delà de la justice qui doit être rendue pour Samuel et sa famille, donne aussi à réfléchir sur les évolutions de l’école, sur les interférences croissantes des parents, pour des raisons politiques ou religieuses, dans nos enseignements. Citée comme témoin lors du procès, j’ai décortiqué le cours de Samuel, ses méthodes et ses démarches, respectueuses des programmes, avant d’évoquer l’état de sidération durable des collègues, notre besoin d’être protégés face aux intimidations et récriminations face auxquelles nous ne pouvons imaginer reculer. Attachée à l’école que je sers, comme bien d’autres professeurs, depuis de longues années, pouvais-je m’attendre à ce que les avocats de la défense m’interrogent sur les « micro-traumatismes » des élèves face aux caricatures de Charlie Hebdo ? S’il est normal que les accusés soient défendus, comment tolérer l’indécence de ce type d’argument quand on sait le « maxi-traumatisme » des nombreux élèves qui ont connu Samuel Paty ou qui ont vu sur leur écran la tête de ce professeur décapité ?
L’affaire Samuel Paty n’est plus seulement, aujourd’hui, celle d’un professeur tué pour avoir enseigné la liberté d’expression : c’est un symbole de la défense de nos valeurs républicaines. Une occasion de rappeler, face à tous ceux qui contestent les chapitres enseignés, que les contenus de nos programmes scolaires ne sont pas négociables, de même que notre liberté pédagogique : ingénieurs de nos disciplines, formés pour choisir des documents pertinents suscitant la réflexion des élèves, il est hors de question que nous tirions un trait sur nos compétences et nos missions pour ne pas froisser les sensibilités politiques ou religieuses des parents. Parce que tout recul serait, pour les islamistes comme d’autres parents extrémistes, une victoire, nous continuerons à enseigner scientifiquement la naissance des monothéismes, les croisades, la laïcité, la dépénalisation de l’avortement. A convoquer des sculptures, des toiles ou des dessins comportant de la nudité quand nous enseignons les différentes périodes et construisons la culture de nos élèves. Car transmettre le savoir « selon la composition des classes », comme le suggéraient les avocats de la défense pendant mon passage à la barre, équivaudrait à tirer un trait sur le caractère national de l’éducation.
Malgré la portée qu’aura nécessairement le jugement rendu par la cour, malgré le besoin de fermeté réclamé par les enseignants, les réquisitions du parquet national antiterroriste semblent pourtant plus préoccupées par la forme que par la gravité des faits et des enjeux.
Les peines requises : une distance abyssale avec la réalité
Le parquet a requis des peines certes lourdes contre certains des accusés, mais elles paraissent loin d’être à la hauteur de l’atrocité du crime commis. Parmi les plus visés, Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud, respectivement accusés d’avoir fourni un soutien logistique décisif au terroriste, ont vu leur réquisition de peine portée à 16 et 14 ans de réclusion. Ces peines, bien qu’importantes, semblent timides quand on considère l’ampleur de leur rôle dans la préparation d’un attentat prémédité, qui visait une figure de l’autorité publique pour son engagement pédagogique et républicain.
Et que dire des peines requises pour Abdelhakim Sefrioui, qui a conduit la campagne de haine contre Samuel Paty, et à Brahim Chnina, ce père d’élève dont les mensonges ont allumé les mèches du feu de la haine ? Douze ans pour Sefrioui et dix ans pour Chnina sont des peines dérisoires au regard du préjudice infligé, non seulement à Samuel Paty, mais à toute la société française. Ces spécialistes de l’agitation islamiste ont contribué à légitimer l’assassinat d’un homme pour des raisons idéologiques et religieuses. Si face à un crime d’une telle portée symbolique et politique nous faisons preuve de clémence, comment imaginer que ces violences contre des enseignants ne se reproduisent pas ? Ce premier assassinat avait déjà ouvert la voie à celui de Dominique Bernard : sans sanctions puissamment dissuasives, combien de fois devrons-nous encore sécher nos larmes ?
Un appel à la cour : l’espoir d’une réévaluation
Alors que les réquisitions du parquet ont choqué l’ensemble des parties civiles, celles-ci se tournent désormais vers la cour pour corriger ce tir. Selon leurs avocats, seule la cour peut désormais « rééquilibrer » ce réquisitoire en prenant en compte la profondeur du trouble à l’ordre public causé par cet attentat. La famille Paty, ravagée depuis quatre ans, attend de la justice un geste fort qui soit à la hauteur du crime commis. Les enseignants seront, dans leur écrasante majorité, derrière elle et tous ceux qui se sont constitués en tant que parties civiles. Car, si la justice est lente à condamner ceux qui ont incité et soutenu ce crime abominable, il est essentiel qu’elle soit à la hauteur de l’histoire, qu’elle protège nos libertés et qu’elle marque de manière indélébile son rejet absolu du terrorisme.
En attendant la décision de la cour, espérons que cette affaire puisse devenir un tournant dans la lutte contre le radicalisme islamiste, et que les peines qui seront prononcées soient enfin à la hauteur de la barbarie de cet assassinat : pour Samuel, pour sa famille, et au-delà pour tous les enseignants et l’avenir de l’école en France.