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Avant même l’élection de Donald Trump, l’Aide publique au développement subissait depuis plusieurs mois des réductions massives de moyens dans les pays occidentaux. Au-delà de la diminution des crédits, c’est d’une profonde remise en cause qu’il semble s’agir désormais, comme l’illustre en France le nouveau « Cadre présidentiel », publié le 7 avril. L’opinion est désormais prise à témoin de la volonté d’être efficace (sic), ainsi que de servir les intérêts du pays donateur, au moins autant que ceux du bénéficiaire de cette aide. Cette baisse des moyens de la coopération internationale au développement s’accompagne en fait d’un changement profond de ses objectifs, qui prend la suite du changement de 2015 : les Objectifs du développement durable (ODD) avaient alors déjà bouleversé le paysage de l’Aide.
Les objectifs semblent mouvants ces derniers temps.
Dans ses réponses aux attaques brutales de la députée européenne Sarah Knafo contre l’Aide et contre l’Agence française de développement (AFD), le Directeur général de celle-ci a donné une justification innovante à un crédit de 150 millions pour la Jordanie : la prise en compte de l’égalité hommes-femmes dans le processus budgétaire de ce pays est un facteur de stabilité du Moyen-Orient, et donc une prévention contre une émigration non souhaitée vers l’Europe.
Cette déclaration est une véritable révolution pour l’AFD, qui avait jusque-là refusé de faire le lien entre son action et la prévention de l’immigration vers l’Europe. Ainsi, en 2007, quand le candidat Sarkozy proposait de coordonner coopération au développement et maîtrise de l’immigration, un économiste réputé de l’AFD pouvait clamer qu’il existait autant d’études montrant un lien de diminution de l’émigration par l’Aide que d’études montrant le contraire. (« dans un premier temps, l’impact de l’Aide est d’augmenter le pouvoir d’achat, ce qui rend les billets d’avion plus accessibles et l’émigration plus facile » ! Comme si le coût d’un billet d’avion était comparable aux 5000€ que coûte souvent la traversée du Sahara…).
De fait, faire le lien entre Aide au développement et prévention de la migration, c’est remettre en cause l’ensemble de la stratégie de l’AFD depuis les années 2000 : cela conduirait à réorienter l’Aide vers les pays d’émigration (Sahel, Afrique du Nord, Haïti…), au détriment de destinations plus lointaines, plus riches et plus génératrices de revenus pour l’Agence : Chine, Brésil, Argentine, ou Costa Rica, Indonésie, Ouzbekistan1… D’ailleurs, les Français savent-ils que seulement 38 % de l’activité de l’AFD a bénéficié à toute l’Afrique (Afrique du Sud, Égypte, Kenya compris) en 2023 ? Pour mesurer la situation actuelle, il suffit de mentionner que l’Ukraine est le seul pays étranger cité dans le document de l’Élysée évoqué plus haut, « réaffirmé comme prioritaire ».
Pourtant, une telle réorientation géographique génèrerait des crédits supplémentaires, qui redonneraient plus de poids à la France dans ses négociations avec le Mali, le Niger, la Guinée, le Sénégal ou même le Maroc et la Tunisie, et d’autres pays d’origine de notre immigration. A titre d’exemple, en 2022, les trois pays du Sahel (Mali, Burkina Faso et Niger) recevaient chacun, environ 100 millions € de la part de la France, soit moins de 1 % de leur PIB : pas vraiment une arme majeure de négociation.
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