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Je ne suis ni futurologue, ni sociologue, mais dès que l’on se frotte un peu aux questions de politique nationale et internationale, aux questions techniques et technologiques, on doit se plonger dans ces sujets. Au milieu de toutes les incertitudes, une seule certitude : le monde émergent est incertain et en accélération. De nombreux auteurs ont approfondi ce thème, depuis le spécialiste de systèmes complexes Dennis Meadows jusqu’au sociologue Hartmut Rosa. Et c’est également le thème principal de l’excellent ouvrage de Thomas Gomart, L’Accélération du Monde, qui dresse le tableau vertigineux de trois brins d’instabilité qui s’enchevêtrent dans notre monde actuel : instabilité de l'environnement, instabilité de la géopolitique, instabilité de la technique, tous trois se renforçant mutuellement dans une spirale déstabilisante.
Du côté environnemental, une dystopie très claire : l’effondrement écologique et le spectre d'une planète invivable, en proie aux calamités, à la famine et à l'extinction. Dystopie très présente, car les rapports accumulés démontrent que la fameuse transition écologique, à l’échelle pertinente qui est l’échelle mondiale, n’a pas eu lieu pour le moment.
Du côté géopolitique, une dystopie non moins claire : le spectre de la guerre mondiale ! Tensions aggravées, déstabilisation de régions complètes du monde, libérations et massacres entremêlés, et l’ombre de la bombe atomique qui assombrit de nouveau nos horizons.
Du côté technologique, c’est plus compliqué. Un mélange d’utopie et de dystopie, que certains sont d’ailleurs experts à manier simultanément ! Comme ce fou furieux d’Elon Musk, vous promettant d’une main que l’intelligence artificielle va nous anéantir, de l’autre qu’elle fera de nous des demi-dieux, avec des robots travaillant pour nous et des machines pensant pour nous, concluant qu’il faut investir des milliards à foison dans ses projets !
Et ce que l’on peut constater, hélas, c’est que la dystopie environnementale a été bien moins efficace, pour attirer les capitaux. Il suffit de constater l’augmentation exponentielle des budgets d’armement dans le monde, et l’augmentation phénoménale des investissements dans le numérique. Dans un cas comme dans l’autre, cela se compte en milliers de milliards. Alors que, pour la transition écologique, c’est dix fois moins, et justement, cela fait partie du problème !
Que dire, dans des eaux aussi chaotiques, de l’emploi ? Au temps où j’étais Chargé de mission sur l’intelligence artificielle pour le Gouvernement, c’était sans doute LE sujet qui provoquait le plus d’inquiétude, du moins dans les colloques « sérieux ».
Là encore, que d’incertitudes sur le futur de l’emploi ! Excellent moyen de se ridiculiser, que de faire des prédictions sur ce sujet à moyen ou long terme ; de grands esprits s’y sont frottés. Il y a environ un siècle, Jean Perrin, alors le scientifique le plus célèbre et le plus prestigieux de France, intimement associé à la notion de progrès scientifique par son travail sur les atomes, de progrès social par sa proximité avec le Front populaire, et de progrès de la culture par la création du Palais de la découverte, le grand Jean Perrin envisageait un monde sans travail à l’horizon d’un siècle. Un monde sans agriculture, où la chimie subviendrait à tous nos besoins physiologiques, où nous serions libérés du fardeau du travail et passerions notre temps à nous instruire ! À peu près à la même époque, John Manyard Keynes, le célèbre économiste, prédisait aussi la fin du travail ; ou du moins le réduisant à la semaine de quinze heures. L’envisageant, avec plus d’inquiétude, craignant que l’humanité désoeuvrée se perde dans le byzantinisme, l’addiction ou l’oisiveté stérile.
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