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« Un Himalaya de difficultés », c’est ainsi que François Bayrou résume la tâche qui l’attend maintenant. À force de coups de boutoir tout au long de sa carrière, la porte de Matignon a fini par lui céder. Il y entre en même temps qu’une foule de problèmes dont chaque camp a sa part de responsabilité. Il fallait donc un journaliste direct dans ses propos et sans concession sur le fond, Patrick Boyer, pour évoquer la pétaudière dont le Premier ministre hérite.
Il y a eu des petits signes avant-coureurs : désireux de réduire leurs responsabilités, gouvernants et élus ont, au fil du temps, multiplié les Hautes Autorités « Indépendantes ». Les Comités Théodule sont désormais 24 (17 Autorités Administratives et 7 Autorités Publiques). Et on a bichonné une institution prébendière sans égal : le monde entier nous envie le CESE (Conseil économique social et environnemental). L’éléphant dans la pièce est bien sûr le Sénat. Il a survécu en se saisissant d’une très médiocre histoire, érigée par Le Monde en Affaire d’État (l’affaire Benalla), créant derechef une 2ème commission d’enquête (après celle de l’Assemblée). Le calendrier était taquin : la rentrée 2018 devait être consacrée à la réforme institutionnelle promise par Emmanuel Macron, et qui devait réduire drastiquement le nombre de sénateurs. Ils firent donc semblant de se passionner pour les errements d’un factotum de l’Élysée, alors qu’il s’agissait, avec l’aide enthousiaste de la presse de gauche, de sauver leur fromage. Médiapart fit corps avec Gérard Larcher : trotsko-balladurisme pas mort !
Alors comment voulez-vous que ce petit monde-là soit à la hauteur d’une situation inédite sous la Vème République : l’absence de majorité parlementaire ? Tous ont déjà oublié que la droite, canard sans tête, allait censurer le gouvernement Attal lors de la discussion budgétaire. Emmanuel Macron a donc anticipé et choisi plutôt que de subir. Fallait-il reculer pour sauter encore plus mal ? L’oubli des oublieux est volontaire : il permet de remettre sur le gramophone le tube inusable «Célafôtàmacron ».
En ce milieu prompt à la procrastination, il est des audaces impardonnables.
L’absence de réflexion sur la dissolution est devenue le pont aux ânes de la vie politique française: une pensée panurgique voue le Président aux gémonies, c’est devenu pathologique. Gouverner sept ans avec le vent médiatique dans le nez requiert une certaine résilience. Il fait imaginer Sisyphe heureux. De fait, les Grenouilles se plaignaient du Roi depuis longtemps et réclamaient plus de pouvoir pour leur Parlement. Macron leur a dit: chiche, je dissous, je vous laisse les clés, trouvez une majorité ! Patatras, un électorat déboussolé, ne sachant plus à quel saint se vouer, s’est éparpillé en trois pôles. Créant ainsi un « 3 Body Problem », tel qu’imaginé par l’auteur chinois de science-fiction Liu Cixin : un monde dystopique où brillent trois soleils.
Réaction pavlovienne des grenouilles et de leur presse : trois pôles ? C’est la faute à Macron !
Personne pour noter que lors de ces législatives anticipées, Emmanuel Macron n’a disposé que d’une seul voix, la sienne, au Touquet, dans la 4ème circonscription du Pas-de-Calais, où il a probablement (le vote est secret) contribué à la réélection du député Renaissance Philippe Fait. S’ensuivit un emballement de la presse de gauche pour trois illustres inconnues -ou presque- sacrifiées successivement sur l’autel de Matignon par le Front Potemkine. Sacrifiées mais consentantes (Iphigénie est toujours consentante). Seule la dernière des trois (la plus inconnue et la moins illustre) s’est prise au jeu et a voulu prolonger son quart d’heure warholien. Lucie in the Sky poursuit donc sa tournée des médias amis : « Ah, je ris, de me voir si belle, en ce mirouaaar ».
Bref les Grenouilles grenouillent, sont incapables de s’entendre et en font le reproche au Roi. Et quand les boutiques obscures accouchent d’un gouvernement Barnier, l’axe Hollande-Mélenchon-Le Pen (quel attelage !) le fait sauter au bout de trois mois. Et Libération de jubiler : « Veni, Vidi, Viré ». Les hyènes dactylographes sont à la fête : il n’est tout de même pas question que le pays soit gouverné ! Tout concourt au nihilisme ambiant. Le calendrier judiciaire a fait basculer l’avenir de Marine Le Pen désormais engagée dans une course contre la montre : présidentielle anticipée contre exécution provisoire d’une condamnation probable aux Ides de Mars.
Vous remarquerez que dans tout ça, l’intérêt du pays, son économie, sa dette, ses retraites, sa démographie, sont inaudibles dans l’opinion. Que le chômage soit au plus bas depuis 40 ans ne fait pas partie du débat public.
La profonde inculture économique du personnel politique français et de la presse politique n’arrange pas les choses. La presse internationale a vanté la gestion du Covid par Macron, les JO de Paris et la Résurrection de Notre Dame. Les journalistes français se feraient hacher menu plutôt que de saluer une réussite de l’exécutif. Ils peignent la France socialisée en un enfer ultra libéral. Une large partie de la population a fini par le croire. Chauffée à blanc, elle est prête à se donner aux démagogues : en route vers la falaise !
Détruire, disent-ils, il faut s’attaquer à la Constitution. Par exemple à l’excellent 49-3 qui permet au gouvernement de gouverner (une hérésie, on en conviendra). Haro sur Élisabeth Borne donc pour en avoir usé largement. Pas souvenir que la presse de gauche ait vilipendé le recordman en la matière, un certain Michel Rocard. Qu’imaginer de plus pour affaiblir encore le système ? La proportionnelle pardi ! Elle fait des ravages en Israël où elle est intégrale. Elle a fait merveille sous la IVème. L’un des trois mandats du bon Henri Queuille a duré dix jours. Barnier est loin du compte.
À ce niveau d’abdication, on rend les armes.
Nous voilà en phase terminale avec une Épiphanie touchante du parti socialiste faisant mine de découvrir la vraie nature de Mélenchon (sept ans de réflexion, tout de même) et un viatique désormais officiel : le Renoncement collectif. Renoncement à la censure et au 49-3. Et même à de nouvelles législatives anticipées (sérieusement ?). Avec, une fois de plus, le sophisme de l’inversion accusatoire. Les boutiques multiplient les injonctions contradictoires et cela devient pour les show runners survoltés de la politique que sont désormais les réseaux et les TV all news : « Macron n’arrive pas à se décider »! Finalement le Président se résout à un choix par défaut, François Bayrou plutôt que Sébastien Lecornu. Le Vieux Monde tient sa revanche. En voie d’épuisement, la classe politique française est tentée par un Seppuku collectif en entrant dans l’ère du Ni-Ni-Ni : ni participation, ni soutien, ni censure.
Encore un mot sur Notre Dame : pourquoi Macron a réussi l’impossible ? En court-circuitant les Comités Théodule et en faisant le bon choix d’un vrai patron, le Général Georgelin. En somme en appliquant dans l’esprit l’article 16 de la Constitution.